Le travail de topographie nécessite des relevés de mesures rigoureux et très nombreux (distances, hauteurs, largeurs, azimuts, pentes, visées directes et indirectes…). Ce travail laborieux oblige à parcourir mètre par mètre la carrière, et c’est aussi l’occasion de détailler, pour ne pas dire scruter, l’environnement dans lequel nous évoluons. Cette observation systématique conduit à des découvertes parfois insolites quant aux procédés d’extraction de la pierre et aux conditions de travail des carriers.

Nous évoquons ici l’emploi des explosifs par les carriers.

 

 Quand les carriers faisaient parler la poudre…

 

 

 

 On peut apercevoir au ciel de la carrière de nombreuses traces noires qui ne doivent rien au noir de fumée des lampes acétylènes. Ces traces noires sont le résultat de l’utilisation de la poudre noire par les carriers pour faire sauter des morceaux de pierre malencontreusement restés en place une fois que le bloc découpé à la lance a été arraché à la masse calcaire. L’explosif n’est donc pas utilisé pour l’extraction proprement dite mais dans la phase suivant l’abattage du bloc pour préparer l’extraction des blocs suivants.

 Traces de poudre noire en ciel de carrière.

On aperçoit le fourreau de la mine au dessus de l'échelle graphique.

 

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Le trou de mine, d’environ 1 m de longueur, était réalisé à la main avec un forêt. Ceci était possible uniquement parce qu’il s’agit de pierre tendre. Une observation attentive du ciel de carrière permet de repérer la trace demi ronde des fourreaux de mine. Ils mesurent presque 4 centimètres de diamètre et présentent un aspect très régulier en raison de l’outil utilisé.
Trou de mine cylindrique.

 

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Nous avons également trouvé un remarquable fourreau creusé avec une aiguille (petite lance d’extraction) dont les traces sont visibles dans la partie encore en place du fourreau. Ce dernier mesure 9 centimètres de diamètre car l’aiguille nécessite un espace plus large pour être manipulée.

Trou de mine réalisé à l'aiguille.

 

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Le carrier effectuait le curage du trou de mine en veillant à ce qu’aucun déchet de pierre ne puisse gêner l’introduction de la cartouche de poudre noire au fond du trou.

La cartouche devait être poussée par le bourroir, instrument en bois à l’extrémité arrondie pour ne pas endommager la charge explosive.

Une fois la cartouche mise en place, le carrier rebouchait soigneusement le trou avec un bourrage dans lequel on prenait garde de laisser un passage pour la mèche lente.

Le bourrage, réalisé avec les déchets du forage, devait être le plus compact possible sinon la mine risquait de faire « canon » en explosant sans arracher la roche. Le bourrage est tassé avec le bourroir.

La charge explosive était calculée au plus juste : assez forte pour détacher le morceau de roche visé, suffisamment faible pour ne pas ébranler le reste du ciel de carrière. Les carriers employaient donc de la poudre noire, idéale pour ce travail car c’est un explosif lent contrairement à la dynamite, dix fois plus puissante.

 

Rappel sur les explosifs

Un explosif est une matière capable de se décomposer très rapidement en produisant une onde de choc et un important volume de gaz à très haute température et pression.

Quand la vitesse de décomposition est supérieure à 2000 m/s, on parle d’explosifs détonants, autrefois appelés explosifs brisants, dont les plus connus sont les dynamites. La puissance de l’explosion fait que la roche est comme broyée en menus fragments.

Quand la vitesse de décomposition est moins rapide, de l’ordre de 400 m/s on parle d’explosifs déflagrants, autrefois appelés explosifs lents et dont le plus connu est la poudre noire.

Dans un trou de mine, l’onde de choc, sur son passage, fissure le terrain, et lez gaz sous pression ouvrent ces fissurent et disloquent le matériau. Avec la poudre noire en grains, la pression est de 6000 kilogrammes par centimètres carrés.

 

Pour réaliser un tir, il est nécessaire de constituer une chaîne pyrotechnique. Cette chaîne comporte toujours trois éléments.

1 - La charge explosive, constituée de poudre noire dans le cas qui nous intéresse.

2 - Le dispositif d’amorçage; qui prend la forme d’un détonateur à mèche et qui va créer l’onde de choc initiale entraînant l’explosion de la charge. Le détonateur, très sensible aux chocs, ne doit jamais être transportés avec les explosifs.

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3 -  Le dispositif de mise à feu : c’est lui qui permet au boutefeu de déclencher l’explosion en toute sécurité, à distance, en lui donnant le temps de s’éloigner. C’est la mèche lente introduite dans le détonateur à mèche.

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La mèche lente est constituée par un mince filet de poudre noire, fortement comprimé à l’intérieur d’une double enveloppe en général imperméable. La vitesse de combustion à l’air libre n’étant pas rigoureusement constante, elle devait être déterminée chaque fois avant emploi sur la base d’un échantillon d’une longueur significative. Selon les modèles de mèche, la vitesse de combustion pouvait varier de 1 mètre en 80 secondes à 1 mètre en 135 secondes.

 

 

La mèche était introduite au fond du détonateur qui était ensuite serti à l’aide d’une pince à sertir pour détonateur

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.Les consignes de sécurité précisant qu’il ne faut jamais sertir le détonateur avec les dents laissent supposer que cette pratique répréhensible et dangereuse avait malheureusement cours.

Pour la mise à feu, la mèche devait être d’une longueur suffisante pour permettre au boutefeu de l’allumer et de pouvoir se mettre à l’abri sans courir.

Après l’explosion, le boutefeu devait attendre que les gaz se dissipent.

Si l’explosion n’avait pas lieu, il ne pouvait retourner sur place qu’après un délai d’attente suffisant pour éviter d’être victime d’une mine faisant « long feu » et explosant avec retard. « On ne doit pénétrer sur le chantier, en cas de long feu ou de raté, qu’une heure après l’allumage ».

 Une fois de retour sur son chantier, le carrier vérifiait qu’il ne restait aucune matière explosive non explosée. Ensuite il pouvait purger le ciel de la carrière à l’aide d’une aiguille pour faire tomber toutes les écailles de roche détachées par l’explosion mais tenant encore de façon précaire.

 

Dans la carrière Sarazin, les carriers ont eu recours à la poudre noire des dizaines de fois sans qu’aucun accident n’ait jamais été déclaré.

 

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Bibliographie

Notes et formules de l’Ingénieur, E. Bernard, 1905

Carrières Plâtrières Ardoisières J. Cahen & E. Bruet, 1926.